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samedi 1 novembre 2014

Définition 3

A propos du Cinéma Amateur


Le musicien qui a composé une oeuvre n’appréciera pleinement sa création qu’avec son interprétation par un orchestre approprié. Dans le domaine littéraire, il sera peut-être plus « délicat » de publier un ouvrage que de l’écrire. Par contre le peintre, même s’il ne trouve pas de galerie pour s’exposer, pourra tout de même continuer de travailler dans son atelier. Le cinéaste lui, pour réaliser son film, devra disposer d’une somme d’argent conséquente et il devra s’entourer de collaborateurs talentueux, de techniciens et puis après il faudra vendre l’oeuvre, à tout prix, pour qu’elle puisse être vue. Il y a des domaines artistiques, comme le cinéma, où le travail est collectif, plus ou moins mais toujours un peu, même lorsque le créateur règne sur son « petit monde ».

L’amateur, dans les domaines artistiques, gagne en liberté ce qu’il perd en moyens et en temps. C’est une constatation et il serait dommage de ne pas profiter de l’avantage. Sur ce point, à l’occasion d’un article concernant « L’Espoir » d’André Malraux, le critique cinématographique André Bazin entamait une réflexion :
- Une oeuvre collective peut avoir « du » style mais il est presque impossible que le principal réalisateur parvienne à s’imposer suffisamment à toute l’équipe pour que l’œuvre atteigne un style aussi personnalisé que dans les arts individuels. Il n’est guère que le film d’amateur qui parvienne paradoxalement, grâce à la pauvreté de ses moyens, à une liberté d’expression que la lourde machine commerciale ne permet pas ; C’était aussi le cas du film muet, moins tributaire de la technique et où le montage (moment absolument individuel de la création) jouait un plus grand rôle. Il restait du reste dans beaucoup de films muets quelquechose de l’amateurisme. Nous le voyons bien dans l’oeuvre de Vigo et l’on peut se demander si la crise de croissance décisive du metteur en scène moderne, celle qui décide de sa santé future, ne réside pas dans la liquidation du film d’amateur dans le film commercial.

La liberté de ton, la fraîcheur, l’insolence, voici des qualités dans lesquelles tout film d’amateur devrait se draper. Ce n’est bien sûr pas souvent le cas. La plupart du temps, pour les films familiaux, on filme la vie comme elle va, sagement, sans « vague », dans le respect des conventions et de la « bonne morale ». On fixe sur la pellicule tous les moments « heureux » de l’existence, en fait, les plus conventionnels, en se gardant bien d’aborder des événements plus graves, des excentricités ou des instants décalés comme si la gaieté, inhérente à l’action de filmer, devait se cantonner à la banalité. En fait, la liberté ça se gagne et ça se mérite. Il est parfois bien difficile de lui rendre hommage.

André Bazin cherche ensuite chez certains films de certains réalisateurs une parenté avec le cinéma d’amateur qui pourrait expliquer quelques échecs commerciaux, selon lui.
- Alors que dans l’oeuvre commerciale le metteur en scène ne doit songer qu’au public, il reste dans les meilleurs films de Renoir, je ne sais quelle délectation à usage interne, quelle complicité des copains qui font un film ensemble pour leur plaisir. Aussi « La Règle du jeu » n’est-elle pas parvenue à sortir des clubs où la censure n’est pas seule à la confiner.
L’évolution actuelle du cinéma américain qui tend à l’élimination du style individuel au profit d’une stylistique de plus en plus anonyme va dans le même sens : l’exclusion de toute trace d’amateurisme.
Le problème qui pourrait se poser à propos de Malraux serait de savoir dans quelle mesure « L’Espoir » reste un génial film d’amateur, bien qu’il ait été tourné en studio avec des acteurs et un opérateur professionnel…

Il y aurai donc un « style » cinéma d’amateur qui ne serait pas seulement inhérent aux films d’amateurs mais qui pourrait également se rencontrer dans certaines productions professionnelles. Quels seraient les éléments déterminants d’un tel style ? L’ambiance « bande de copains », même s’il peut s’agir d’un de ces éléments, ne me semble pas primordiale. La spécificité du cinéma amateur me semble plus porter sur le regard du cinéaste qui dans le cadre de son activité sera à la fois réalisateur, caméraman et monteur. Il m’est arrivé de constater, en voyant des films de voyage, de me dire que tels ou tels plans n’auraient pu être filmés par un journaliste ou un caméraman professionnel car leurs regards sont déformés par une certaine vision des choses, convenue, préétablie. Seul le regard de l’amateur, ou le talent d’un documentariste serait capable d’apporter la surprise chez le spectateur, de capturer les choses précieuses en opposition radicale aux scoops journalistiques. Encore une fois, je ne prétends pas que le cinéma d’amateur tel qu’il est constitue une quelconque caverne d’Ali Baba remplie de trésors inestimables, mais simplement, il recèle des capacités réellement importantes qu’il ne tient qu’à lui de mettre en avant, d’explorer.

Michel Gasqui (publié dans Infos-Ciné n°55 – septembre 2003)

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